Roland Salesse, chercheur en neurobiologie de l’odorat et membre de l’Equipe Nez en Herbe nous parle des différentes études et résultats portants sur la reconnaissance des maladies grâce à l’odeur.
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2017 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
L’idée de reconnaître des maladies à l’odeur n’est pas forcément prise au sérieux. Pourtant, les études convaincantes s’accumulent. Ces dernières années, la littérature scientifique a fourni des résultats forts prometteurs dans le diagnostic de maladies infectieuses, neurologiques, ou encore des cancers. Ces analyses sont réalisées à partir de prélèvements de patients comme leur haleine, leur sueur, leur urine, ou encore des cultures de cellules.
On utilise parfois des animaux à l’odorat sensible comme les chiens ou les rats. Mais le plus souvent, ce sont des capteurs électroniques qui servent à l’examen des molécules odorantes. Avec des résultats plutôt fiables, du moins en laboratoire.
Ces pratiques avaient jusqu’à maintenant suscité l’intérêt d’un cercle restreint de scientifiques et de médecins. Mais l’article publié en début d’année 2017 par Morad Nakhleh, chercheur à Technion (Israel Institute of Technology) à Haïfa, et ses collègues, pourrait bien accélérer les applications en médecine. Cet article réunit les résultats d’expériences menées dans différents pays, utilisant toutes le nez électronique conçu par le Pr Hossam Haick, directeur du Laboratoire de dispositifs à base de nano-matériaux (Laboratory for Nanomaterial-Based Devices) de Technion.
Pour la première fois, une collaboration internationale réunissait sur ce sujet 14 laboratoires dont, en France, l’unité Inserm Hypertension artérielle pulmonaire dirigée par le Pr Marc Humbert, de l’université Paris Sud. Le laboratoire du Technion a ainsi pu valider le principe d’un diagnostic olfactif de 17 pathologies majeures comme la maladie de Crohn ou le cancer des ovaires (voir la liste complète dans le tableau 1 de l’article) par des « nez » électroniques.
1 404 personnes ont « soufflé dans le ballon »
D’emblée, les chercheurs ont misé sur une vaste cohorte de sujets, répartie dans cinq pays. Neuf hôpitaux ont sollicité au total 591 personnes en bonne santé et 813 patients souffrant des 17 maladies, déjà identifiées chez eux. Le personnel soignant les a fait « souffler dans le ballon », un peu à la manière des contrôles pour l’alcool au volant. Leur haleine a été collectée dans des ballons en mylar, cette matière plastique résistante servant à fabriquer ceux à l’hélium pour les enfants.
Deux types de pathologies avaient été sélectionnées. D’une part, des maladies sans aucun rapport entre elles, par exemple la pré-éclampsie – une hypertension artérielle durant la grossesse – et la maladie de Parkinson. Ces maladies présentent a priori peu ou pas de marqueurs biologiques communs. D’autre part, des affections touchant les mêmes organes, par exemple le cancer colorectal (le côlon et le rectum) et la maladie de Crohn (l’ensemble du tube digestif). Celles-ci pourraient posséder des marqueurs pathologiques communs et donc être plus difficiles à discriminer pour les médecins – d’où l’intérêt de pouvoir les distinguer par le diagnostic olfactif.
Un ordinateur connecté au « nez »
Le « nez » électronique ne ressemble en rien au nôtre. Il se compose d’un support conducteur de l’électricité – dans cette étude, des nanoparticules d’or – qu’on recouvre d’une couche ultramince d’un matériau synthétique. Celui-ci va adsorber (fixer temporairement en surface) les molécules volatiles et servir de senseur, c’est-à-dire de dispositif de détection. Il faut imaginer tout cela à l’échelle du micromètre (un millionième de mètre) ou même du nanomètre (un milliardième de mètre).
Lorsqu’on fait passer les molécules volatiles de l’haleine sur un tel dispositif, on observe des modifications du courant électrique dans le conducteur, différentes selon des molécules capturées. Pour améliorer les performances de ces détecteurs, on les regroupe en réseaux afin de pouvoir collecter un grand nombre de données pour un même échantillon d’air.
Tout l’enjeu consiste ensuite à analyser correctement ces signaux électriques de façon à bien mettre en évidence leur spécificité et à évacuer toute interférence. Le nez électronique est bio-inspiré, autrement dit copié sur le nez humain : comme notre propre système olfactif, un processus d’apprentissage lui est nécessaire pour reconnaître les odeurs caractéristiques des maladies. Des algorithmes de reconnaissance des odeurs ont donc été élaborés.
Les interférences à éliminer sont de plusieurs sortes. Le tabac laisse des traces fort perceptibles dans l’haleine – comme les proches des fumeurs peuvent le constater – et peut donc perturber le nez électronique. Nous exhalons également des substances particulières liées à notre âge ou à notre sexe qui pourraient, elles aussi, interférer. L’exploitation informatique des résultats a permis de s’affranchir de ces biais, en identifiant les signaux liés à ces facteurs et en faisant ressortir de manière nette les signatures spécifiques des pathologies.
Les chercheurs ont ensuite appliqué une seconde analyse statistique à ces signatures spécifiques. Et ils ont réussi, lors de tests en aveugle, à obtenir un diagnostic juste dans 86 % des cas en moyenne. Les résultats variaient d’une précision de 64 % dans les cas les plus difficiles à discriminer, par exemple distinguer le cancer gastrique de celui de la vessie, à 100 % pour les plus faciles, comme distinguer un cancer de la tête et du cou d’un cancer des poumons.
L’analyse chimique confirme le diagnostic
En dépit de cette avancée spectaculaire, l’équipe restait sur sa faim. D’une part, le nez électronique, malgré ses performances, est incapable d’identifier les composés volatils qu’il a « sentis ». Il n’en dresse en quelque sorte que le portrait-robot olfactif. D’autre part, comme des résultats précédents l’avaient déjà montré, des dizaines de composés organiques volatils se retrouvent aussi bien chez les personnes en bonne santé que chez les malades. Il fallait donc un outil complémentaire, capable d’affiner le portrait-robot…
Les chercheurs ont opté pour la méthode-reine pour les chimistes analytiques, qui s’appelle la GC-MS (pour gas chromatography-mass spectroscopy), une chromatographie en phase gazeuse suivie d’une spectrométrie de masse. Cette technique est puissante car elle permet d’identifier et de quantifier chacun des composants chimiques d’un mélange. Le résultat s’est avéré très concluant : si aucun des composés volatils ne permet, à lui seul, de caractériser une maladie, la combinaison de seulement 13 composés suffit à distinguer les unes des autres les 17 maladies étudiées.
La GC-MS vient donc ajouter un support chimique analytique aux discriminations effectuées par le nez électronique. Cependant, les analyses sont plus longues et plus coûteuses qu’avec ce dernier, et elles nécessitent un personnel spécialisé.
Encore du chemin à parcourir avant l’application en médecine
Le nez électronique, donc, constitue une petite révolution dans le domaine du diagnostic médical. Bon marché, polyvalent, non invasif (sans effraction du corps), ce nez est un dispositif qu’un patient pourrait tout à fait utiliser à la maison, son médecin recevant les résultats via Internet ou un smartphone. Il permettra surtout une détection précoce, qui sera bénéfique aussi bien aux malades qu’à l’Assurance maladie.
Un nez électronique est déjà opérationnel dans l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Cette maladie mortelle n’est habituellement diagnostiquée qu’à un stade avancé et de façon invasive, par introduction d’une sonde dans une veine, jusqu’aux cavités droites du cœur. La collaboration entre l’unité Inserm Hypertension artérielle pulmonaire et l’unité de Technion dirigée par le Pr Hossam Haick a permis de montrer l’efficacité du procédé. Ce nez détecte en effet l’HTAP avec une précision de 92 %. Les chercheurs envisagent maintenant un essai clinique de validation, dans le cadre du Centre de référence de l’hypertension pulmonaire à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (APHP).
Du chemin reste toutefois à parcourir avant de pouvoir appliquer le diagnostic olfactif dans la médecine de tous les jours. Il faudra évaluer la technique sur de plus larges populations, la standardiser, concevoir des certifications et des marquages CE (conformité européenne), mais aussi créer des banques d’odeurs de maladies. Durant l’Antiquité, les médecins n’avaient pas d’autre moyen que leur propre nez pour déterminer une maladie. Il était temps de voir cet organe, éclipsé par la prééminence des moyens lourds de diagnostic, enfin réhabilité par l’époque moderne !
Roland Salesse, Ingénieur agronome, chargé de mission à la culture scientifique, Unité Inra de Neurobiologie de l’Olfaction, Inra and Sylvia Cohen-kaminsky, Immunologiste, directrice de Recherche, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay
Cet article a d’abord été publié sur le site The Conversation sous Creative Commons license. Lire la publication originale.